Alhambra-cinéma... 1920 > 1944



Les deux documents précédents "dommages de guerre" ainsi que le plan couleur suivant, m'ont été confiés par F.A.H. que vous connaissez par les documents qu'elle a également confié à DAN et NICEPHORE !





 répertoire des Permis de construire
année 1920...
(Archives du Havre)




Plan "bleu" (archives du Havre) que l'on peut rapprocher de celui de F.A.H.



 





Annuaires "Micaux" 1922...












Demande de permis de construire (Archives du Havre)

 


















Entête de lettre 1922...
(Archives du Havre)
















Entête de lettre 1924...
(Archives du Havre)







1920 le 15 mai, est déposé à la Ville du Havre, le permis de construire (n° 287) pour « une salle de cinématographe Rue du Président Wilson n° 76 […] Propriétaire constructeur Monsieur Jacquaniello Pascal faisant élection de domicile à la dite salle »
L’architecte Edmond Guiné, en dresse les plans. Le « bleu » nous en montre la situation géographique. La salle jouxtant la Poste.

Le 2 octobre de la même année « le Petit-Havre » met un article en 1ère page « Ouverture de l’Alhambra-Cinéma »
« En cinq mois, une nouvelle salle de spectacle vient de surgir dans notre ville : l’Alhambra-Cinéma. Ce nouvel établissement, contigu au bureau de poste des Gobelins, rue du Président Wilson, ouvrira ses portes ce soir. Spécialement conçu pour son affectation cinématographique, l’Alhambra, construit sur les plans de M. Guiné, architecte, est doté de tous les aménagements modernes.
Cette salle, de style mauresque, mesure 34 mètres de longueur sur 22 de largeur ; elle peut contenir 2000 personnes. Le plancher, établi en pente, assure une visibilité parfaite de toutes les places. Les premières se trouvent au milieu, les secondes au fond et les troisièmes près de l’écran. Elles sont encadrées d’un vaste promenoir circulaire. D’un côté trois bars séparés s’étendent sur une longueur de 20 mètres, avec accès à chaque catégorie de spectateurs.
Les vues seront projetées sur un écran de 20 mètres carrés, dont la luminosité, obtenue par un procédé nouveau, donne le maximum d’intensité et de relief à l’image.
La cabine de l’opérateur, entièrement construite en ciment armé, est absolument indépendante de la salle. En cas d’incendie, il existe trois grandes portes de dégagement, donnant sur le jardin attenant à l’établissement.
Le directeur, M. Pascal Jaconello [Jacquaniello] qui a déjà tenu un cinéma à Graville, a l’exclusivité des films de maisons nouvelles. Il s’est en outre assuré le concours d’un excellent orchestre, dirigé par M. Voisin.
La lumière est répandue à profusion tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Quatre plafonniers sont disposés et 3000 bougies réparties dans le cintre.
Ainsi qu’on peut le voir, l’Alhambra Cinéma a réuni tous les éléments de confort et de bonne organisation. Aussi peut-on espérer que le succès ne fera pas défaut. »
Prix des places : Premières 3 frs 50 ; secondes 2 frs 50 ; promenoirs 1 fr 75 : troisièmes 1 fr 50 »

1921 le 14 janvier, la veuve Mary Eugénie sollicite « une place en face du cinéma Alhambra rue du Président Wilson pour vendre des bonbons étant veuve et mes deux enfants malades » le refus de l’administration est clair « la rue d’Etretat est déjà étroite à cet endroit, que le tramway y passe et qu’il est très dangereux d’autoriser un stationnement devant le cinéma »
Mais après un entretien, elle obtient une autorisation de stationner. Grâce à ce papier elle échappera à la vindicte d’un sous-brigadier, qui dans un rapport du 27 de la même année déclare avoir « remarqué une mde de 4 saisons vendant des bonbons, orange, etc, qui stationnait rue d’Etretat à proximité du Cinéma Alhambra et ce avec une voiture à bras, laquelle génait la circulation vu la rue étroite et le passage constant des tramways et voitures. J’ai invité cette femme a circuler, elle s’y est refusée et elle m’a exhibé une carte d’autorisation de stationnement devant le cinéma Alhambra »

1922 le 2 janvier, le  « Directeur-propriétaire » de « Alhambra-Cinéma » fait  une demande au maire pour      « construire et installer sur un emplacement que vous voudrez bien m’accorder un jardin zoologique avec toutes sortes d’animaux. Cette installation serait faite avec toute l’hygiène et le confort moderne »

Avril, l’administrateur de l’Alhambra-Cinéma, écrit à la mairie afin d’obtenir « autorisation de stationnement et exhibition d’animaux exotiques dans la cour que nous possédons sise 76 rue du président Wilson avec aménagement spécial pour les bêtes suivantes - chimpanzé - cenocephale [cynocéphale] - gazelles. Ainsi que toute une série de jeunes singes très rare et qui sont très doux. Mr Jacquaniello mon directeur rentrant en France le 21 At [août] d’un voyage dans l’Afrique avec ce lot. »
La réponse ne tarde pas, le maire « autorise à faire une exhibition d’animaux exotiques dans la cour de l’immeuble, 76 rue d’Etretat, sous la réserve que toutes les précautions seront prises pour éviter tout accident aux visiteurs et qu’aucune réclamation des voisins ne se produira. »

Le nom Président Wilson est pourtant changé depuis 4 ans (1918) pour cette portion de la rue d’Etretat…

1923 juin, Jacquaniello fait une demande auquelle l’administration répond qu’elle « préfère que vous remplaciez l’autruche morte par deux chevreuils de la Côte d’Afrique, plutôt que par une autruche »
Un certificat lui est adressé « Le Maire de la Ville du Havre, soussigné, certifie que les deux chevreuils que M. Pascal Jacquaniello demande l’autorisation d’introduire en France sont destinés au Jardin zoologique du Havre »

1924 mars, le cinéma est tenu par 2 propriétaires « MM. Jacquaniello & Cadoret » qui demande « l’autorisation de rentrer en France quelques autruches destinées à un jardin zoologique Français, ainsi que quelques animaux que nous vous remettrons pour la forêt de Montgeon »
Le maire répond qu’il n’a pas « qualité pour vous autoriser à importer en France des animaux exotiques, même si ces animaux étaient destinés à la ville »

1925 1er octobre « Le Petit-Havre » « Alhambra-Cinéma. Pour cause d’accident arrivé au moteur, la Direction informe son aimable clientèle que les séances du jeudi, matinée et soirée 1er octobre, sont reportées au vendredi 2 octobre à 8 h ½ du soir. Les billets pris en location seront acceptés vendredi soir.

Deux mois plus tard, une pétition est lancée par 24 riverains du cinéma…
« Un nouveau cinéma « l’Alhambra » vient d’ouvrir rue Wilson. Cet établissement possède un moteur qui est une véritable calamité pour les voisins, car, par son ronflement intolérable et continu de huit ½ à minuit, tout sommeil et repos deviennnent impossibles pour les habitants du quartier. Des plaintes et lettres adressées au Directeur sont restées sans effet. C’est pourquoi, nous venons vous prier de bien vouloir, en faisant appliquer les règlements qui interdisent tout trouble au repos public, faire cesser cet état de choses qui n’a déjà que trop duré. »
Ces habitants demeurent aux 2, 4, 6, et 8 rue d’Epréménil - 3, 8, 10, 11 et 12 impasse Bréa - 64, 66, 72 et 74 rue Président Wilson.

1930 le 7 février, c’est une première… un film français parlant, passe sur écran à l’Alhambra « Grande première de gala. En exclusivité pour toute la région. Maurice Chevalier dans La Chanson de Paris. Il parle. Il chante. Il danse. A chaque séance 2 actualités parlantes Fox-Movietone et Paramount »

1934 le 11 octobre « Le Petit-Havre » fait un état des salles « Réouverture dans nos cinémas. Nouveaux films. Façades neuves […] Là-haut, l’Alhambra a reblanchi sa façade mauresque, et nous savons qu’un programme hors-ligne sera cette année le menu hebdomadaire. »

1944 le 5 juin, le dernier film donné à l’Alhambra… « film hors classe » soirée à 20 h… « Le Vengeur »

Mon grand-oncle par alliance, Louis SCATTA, né au Havre en 1914, demeurant à l'époque 7 rue d'Epréménil, m’écrit en 1998…
« Nous habitions le quartier Saint-Vincent, quartier à deux pas de la digue nord. Louis mon camarade, plus âgé que moi de quelques années, allait à l’école des Gobelins, en primaire avec moi. Son père faisait construire un cinéma près de notre maison et auprès de la poste. Une salle ultra-moderne pour l’époque, qui fut baptisée « l’Alhambra », avec façade imitation des palais nord-africains. Il pouvait contenir environ six cents places… avec un long et large promenoir circulaire, qui ressemblait à celui des « Folies-Bergères » de Paris. Les décors étaient de style mauresque, avec des teintes très vives et je remarquais surtout les bleus tirant du violet au plus pâle, que l’on trouve en Méditerranée.
Le père de mon camarade s’appelait Pascal Jacqualienno [Jacquaniello], italien d’origine, mais du Sud. Emigrant, « parti de rien », il avait réussi dans différents commerces. Lors de la construction du cinéma, il partait quatre à cinq mois en Afrique et rapportait sur des bateaux, des singes, des panthères et des animaux sauvages de toutes sortes. A son retour, il parquait tous ces animaux qui étaient dans des cages rudimentaires, dans le grand espace autour de sa maison. Ce même endroit où il édifia le cinéma.
J’ai appris étant plus grand par Lucien le mari d’Andrée, que Jacqualieno [Jacquaniello] vendait des singes au savant Voronoff, qui faisait à l’époque des greffes afin de redonner de la vigueur aux gens âgés.
Allant jouer chez les Jacqualienno [Jacquaniello], je me souviens avoir aperçu différents animaux qui étaient surveillés. Pascal, comme disaient les gens du quartier, vendait tous ces animaux à des zoos français et étrangers.
Avec le recul du temps, je me demande comment il pouvait avoir l’autorisation, en pleine ville, même pour un court séjour, pour le stattionnement d’animaux dangeureux dans l’immense cour de sa maison. C’était la grande attraction du quartier ! Je me souviens très bien !
Un jour nous entendîmes une rumeur… une cavalcade… des gens qui criaient « les autruches ! ». Nous habitions au troisième étage de l’immeuble, nous nous sommes précipités vers la fenêtre et nous aperçûmes plusieurs de ces oiseaux qui couraient autour de la place des Gobelins, suivis de plusieurs employés de Pascal, qui essayaient de leur faire réintégrer la grande porte du terrain. Mais les autruches tournaient autour de la place, à la risée des commerçants, passants et gamins du quartier. Après de réelles difficultés, les autruches furent de nouveau dans l’enclos.
Sa période de prospecteur d’animaux sauvages se termine et le cinéma « l’Alhambra » se construisit rapidement, avec sa façade sur la rue du Président Wilson, sur le même emplacement qui avait servi pour entreposer les animaux.
Nous n’avions pas de cinéma dans notre quartier. Il y en avait plusieurs dans le centre ville, mais je n’y suis allé qu’aux alentours de mes 18 ans. Ma mère, en dehors de l’école, me cherchait et me grondait, car j’étais toléré sur le chantier lors de la construction de cette salle. Je commentais à ma mère et mes soeurs l’avancement des travaux.
Louis m’avait promis que je pourrais voir les films gratuitement, les jeudis et dimanches après-midi. Quand le cinéma fut ouvert, ma mère y allait le mardi avec mes deux grandes sœurs. Moi, souvent, j’y allais le mercredi avec mon père ; mais au promenoir, j’étais trop petit et je ne voyais rien lorsque j’étais accoudé. Il me plaçait sur des banquettes larges et inconfortables, je regardais la projection debout. Cette position me fatiguait… je m’asseyais… et je dormais jusqu’à la fin du film.
Le cinéma connut à l’époque une grande renommée et le quartier qui était paisible se trouva transformé ! L’animation jusqu’à minuit et les dimanches, avec des entractes de quinze minutes, faisaient la richesse des deux cafés du coin où comme de juste les spectateurs allaient boire ! »

Armand Frémont dans son ouvrage « La mémoire d’un port Le Havre » apporte son témoignage « Tout près de la place [des Gobelins] presque en face de l’école, une merveille, une caverne magique : le cinéma Alhambra. Edouard et Andréa s’y installe aux meilleurs rangs pour voir les films muets, tandis qu’un pianiste accompagne le film. Dehors il y a la queue. La place s’anime encore à la sortie, bruyante jusque vers minuit. Le propriétaire, un autre client de mon grand-père, est un homme original, toujours coiffé d’un grand chapeau colonial. Il pratique aussi l’importation d’animaux exotiques qu’il entrepose dans un hangar, derrière le cinéma. Mais le local n’est pas bien clos, à la grande frayeur de tout le quartier. Une girafe traverse un jour la place en courant. Un singe s’égare dans le salon du colonel. Un perroquet s’installe dans la boutique du peintre. Les hommes de chez Paillette courent derrière la girafe. Le petit boucher s’empare prestement du perroquet. Un boa prend place, un soir, sous les sièges du cinéma et il faut évacuer la salle. »

Dans le livre de Max Bengtsson et Gilbert Betton « Saint-Vincent-de-Paul Quartier phare de la Porte Océane » les auteurs donnent le témoignage de Mme Chardonnet « L’Alhambra était un cinéma de style mauresque. Tout le quartier a connu cette salle, chacun ou chacune y choisissait sa place. Souvant au promenoir se retrouvaient les « monteux d’sable ». Ils venaient après une dure journée de labeur pour se délasser ; ils s’asseyaient sur le sol en pente pour boire et manger. De temps à autre ils se relevaient pour regarder l’écran et voir un peu le film. A mi-salle, en première, se retrouvaient les commerçants et les artisans, et certains soirs si le film correspondait à leur aspiration, on y voyait également les gens de la « Côte ». Aux secondes, se côtoyaient les petits cadres ainsi que les fonctionnaires et les employés de bureau. Enfin les troisièmes étaient occupées principalement par les gens du peuple, peu venait des autres quartiers. On y présentait jusqu’à la Seconde Guerre, des films à épisodes qui permirent aux directions de ces cinémas populaires d’avoir toujours un public fidèle. »

Jean Legoy, dans son livre « Cultures Havraises » nous dit qu’ « Un témoin se souvient qu’à l’Alhambra, rue d’Etretat, les commerçants du quartier, les plus « huppés », s’asseyaient au parterre, le « populo » lui, restait debout et déambulait autour de la salle dans le promenoir. Les gosses couraient entre leurs jambes, parmi ces gamins de Saint-Vincent on pouvait reconnaître Pierre Bost, futur grand scénariste, Serge Pénard, futur réalisateur, Jacques Germain, passionné du cinéma pour enfants, l’abbé Alexandre.

Je continue mes recherches sur le zoo de la Forêt de Montgeon et sur Pascal Jacquaniello...

Bien entendu je tiens à votre disposition toutes les références concernant les documents que j'ai utilisés pour cet article.

Par cet article, je veux rendre hommage à mon Maître d'école Pierre CHASSAIN

Dimanche 17 janvier 2010


5 commentaires:

DAN a dit…

Bonsoir Laurent. Voilà un récit où anecdotes et histoire de cette salle, m'a fait passer un bon moment.
J'avais reçu quand j'ai fais un article sur ce cinéma, un commentaire nous parlant des animaux en cages. Ici tu donnes des précisions, dont certaines d'entre-elles, pourraient faire l'objet d'un synopsis de film.
J'imagine les autruches s'égayant dans la rue avec tout le monde cherchant à les rattraper.
Faut bien avouer que ce serait presque un film où de funès , par exemple, aurait tenu son rôle à merveille.
Mais le plus étonnant peut être des précisions que tu apporte avec cet article, c'est la manière dont les spectateurs visionnent un film.
Mon père m'avait déjà parler des gens qui fumaient dans les cinémas, mais ici venir y manger est chose complètement inconcevable à notre époque.
Bref, tu auras compris que j'ai passé un agréable moment à lire ton article.
@+

LGV a dit…

Ah ! bravo !
Voici un article complet et intéressant. Ces témoignages m'ont plongés dans l'atmosphère. J'aime beaucoup apprendre, surtout lorsque c'est passionnant. Merci Laurent pour ce bijou.

Didier a dit…

M. Chassin, il était pas propriétaire de salle de ciné?
Une fois je me suis amusé à faire des fotos des bars portant le nom de cinéma (havrais), doit plus en rester beaucoup aujourd'hui.

phyll a dit…

je rejoins les coms précédents pour le coté passionnant de cet article !!
Bravo et merci Laurent !!

Anonyme a dit…

Bonjour à tous,

En premier lieu , permettez-moi de vous démontrer mon appréciation pour chacune des très "à propos" connaissances que j'ai découvertes sur cet beau forum.

Je ne suis pas assuree d'être au meilleur endroit mais je n'en ai pas trouvé de meilleur.

Je viens de Melville, us . J'ai 46 années et j'éduque 4 très gentils enfants qui sont tous âgés entre 8 et 15 années (1 est adoptée ). J'aime beaucoup les animaux de compagnie et je fais de mon mieux de leur offrir les accessoires pour animaux qui leur rendent l'existance plus confortable.

Je vous remercie dors et déjà pour toutes les palpitantes débats dans le futur et je vous remercie surtout de votre compassion pour mon français moins qu'idéal : ma langue de naissance est l'arabe et j'essaie de m'enseigner mais c'est très ardu !

A la prochaine

Arthru