Que tout le monde sache... 2/2

Dans Saint-Vincent… Saint-Léon… on les démolit les estaminets ! En faire des banques, des bureaux d’assurances ou immobiliers. Entre deux comptoirs je préfère ceux où je pose mes coudes plutôt que ceux où je pose mon argent ! et pourtant j’en dépose de l’argent sur le zinc !
Moi et Boris on avait quand même un bar préféré, un des derniers dans le quartier de l’Eure le « Tout va bien » quai de la Marne... Quai désert parce que sans bateau sinon une vieille péniche en train de rouiller et tenue par un fragile cordage à la bitte d’amarrage.

Entre les pavés disjoints et les rails il reste des grains de café vert. Apporté par palanqués le café était déchargé par des dockers aux crocs rapides et précis et mis dans les hangars. Forcément de temps en temps un sac de 50 kilos tombait par « inadvertance » et sac foutu marchandise perdue ! chacun remplissait sa musette…

Dans des endroits comme ceux-là, avec les pavés, les rails et le crachin qui transperce le cœur… il faut Gus Viseur… le Tatave et sa musique. Le musette qui te fragilise encore plus l’âme !
Nous deux on buvait la bière… pas de faux-col… du ras-bord…le houblon dans le verre et la mousse dans l’évier. Mais fallait qu’on est les vécés tout près… sitôt bu sitôt pissé ! c’était notre devise.
On écoutait les conversations… on refaisait notre monde. Mais rien que par le verbe… le babillage. On était pas des bouillants, question engagement physique. La soif que de parler sans arrêt…
Je me rends compte que je parlais quand même souvent de Marie… Marie amie ravie !… son sourire quand elle était triste c’était la pluie sur une vitre… son sourire lorsque nous étions complices c’était un reflet de soleil sur l’aile d’un papillon. Ses yeux sont violence, ironie, bonheur… jamais indifférence !
J’ai jamais fait dans le sensationnel, mais je crois qu’avec Marie j’aurais pu. Pas soulever des montagnes… mais lui dire « je t’aime ! »… mais pour moi « soulever des montagnes » c’est dire « je t’aime » à Marie !
La bière m’arrange pas ! me voilà poète de service et de comptoir. Moi qui ne supporte en littérature que la Série Noire… le Duhamel et son masque… La Môme Vert-de-gris.

Je me bourre la pipe avec le Clan… la détente aussitôt !

Et puis on regardait les soixante-dix ans, les quatre mêmes depuis des années sûrement à la place qu’ils avaient choisie au départ. Chaudronniers chez Caillard, ils y venaient le midi… la retraite arrivée, les quatre ont pris l’habitude de venir de 15 à 19 heures chatouiller les dominos et la politique. C’est ce qui les faisait revivre !… sans oublier les ballons de rouge qu’il ne fallait pas laisser vides… Le patron avait le réflexe de les remplir avant qu’ils ne soient terminés complètement. C’est qu’il les connaît maintenant… depuis… Ils n’ont plus à l’appeler !

Le double six claque sur la table en formica… la partie se gagne ou se perd… le ton monte… la grossièreté et le Beaujolais à fleur de lèvres et de papilles. La « cat’ blanche » et le « catouilleux » en embuscade, ils jouent leur réputation ! De temps en temps le corniaud du patron leur attaque les mollets, mais ce chien sans mémoire se reçoit rituellement un coup de talon dans la gueule. Qui crie le plus fort maintenant l’animal ou l’homme ? Mais les parties continuent et les verres se remplissent…

Le Père Léon s’était fait une spécialité… il ramassait mais on lui amenait aussi… des mégots ! de cigares, de blondes ou brunes… à priser ou chiquer… tout lui était bon ! tous ces déchets récoltés il les mettait dans une petite boite en ferraille. Après avoir bien secoué le tout, il se roulait la cigarette. La cigarette fumée, son mégot rejoignait lui aussi les autres au fond de la petite boîte.
Léon on l’avait accusé dans les années 70, d’avoir supprimé sa femme… « On » s’était fait un devoir, un droit, un honneur… un bonheur… que de le dénoncer avec lettres à l’appui, au commissariat de la rue Hélène. C’est vrai, il y avait eu enquêtes … convocations… suspicions ! Sa Catherine d’épouse avait disparu du jour au lendemain. Pas un mot de l’évaporée ! Bon train les langues ont bavaché ! Le couple habitait rue de l’église, près du Foyer belge, alors forcément depuis 10 ans les commerçants, les voisins, les connaissaient. Léon et sa Cathie venaient faire les emplettes et boire le coup. Avaient leurs habitudes, manies… achetaient leur « Havre-Libre ». L’ « Huma » ils le prenaient de temps en temps au militant du pécé et adhérant de la cellule de l’usine Caillard.
Six mois, c’est le temps pendant lequel elle a disparu. Elle était devenue « compagne de route » du pécéêfe. Elle revivait ! Elle avait des petites bulles dans la tête ! Une vraie boisson gazeuse. Elle participait aux collages d’affiches et réunions de cellules… métinges et préparation de la fête de l’Huma… Pour le Parti, avec son marxiste de « ravisseur » ils ont tourniqué pendant des mois pour leur apporter des voix, des sous, des signatures… le porte à porte au Foyer belge… les immeubles du Pont-Rouge… Étages montés, sonnettes appuyées, bitume arpenté… si ils avaient été payé comme les putes, ils auraient eut leur lopin de terre à Sanvic, avec la maison dessus. Mais Catherine s’est lassée de son ami, de son parti… elle est retournée vers Léon et vote maintenant à droite. Une droite molle… pas fascisante ni fascinante !… Une bonne droite bien ajustée, comme dirait Marcel Cerdan !
Pour en revenir à sa Cathie quittée, Léon avait vraiment dérouillé pendant ces 6 mois de disparition… le cœur en marmelade déjà avant, ne s’est pas arrangé. L’insomnie le faisait partir en voyage au bout de la nuit ! Elle le savait que ça allait lui fragiliser à l’extrême le palpitant que de ressurgir brusquement. Lorsqu’elle était dans les bras du « militant.com » elle se voyait déjà en veuve de Léon. Choc au départ et émotion trop forte de la voir revenir l’ont tué… Crime parfait !
Bon j'arrête là mon récit, j'ai assez écrit de connerie comme ça !
Nicolas, Boris, Marie n'existent pas... juste des situations et des personnages de fiction !
Je ne recommencerai pas et continuerai à vous présenter des textes, photos, documents sur notre ville... Merci d'avoir lu quand même ! Portez-vous tous bien !
Mardi 1er décembre 2009

10 commentaires:

Didier a dit…

que néni mon gars, tu retrempes ta plume t tu nous concocte la souite, tu sais un bon cou d'pied au cul et c'est reparti.
Plus sérieusement elle est très bien écrite cette histoire et ferais une très bonne nouvelle ou un roman. Cela se pase au Havre dans ces quartiers chargé d'histoires ouvrières.
Tu les décris avec beaucoup de finesses et justesses et je suis bien certain que je ne suis pas le seul à le penser et attendre la suite, alors fais nous ce plaisir simple de nous plonger dans le récit si bien raconté.

Unknown a dit…

ha non ! ça ne peux pas s'arrêter comme ça ! Nicolas ne nous a pas tout dit, et que va devenir Marie ?

phyll a dit…

Bien joué Laurent !!!!
j'étais totalement immergé dans ce récit !! j'y mettais des images...et il est bien dommage que tu ne donnes pas suite à tes "conneries" !!!

amicalement.

Laurent a dit…

- Je dédie ce texte en 2 parties à Sandrine, notre blogueuse de charme qui a de "petits soucis" de santé en ce moment !
Bisous à elle !
- Didier, Yak et Phyll... j'écris tout le temps ce même type de textes ! Alors c'est sympa à vous de me pousser à continuer un peu !

DAN a dit…

Moi je t'y pousse aussi non mais. Voila un texte qui, dans ma tête, s'illustrait avec des cartes postale en N/B.
Alors tu n'y coupes pas, car devant une telle unanimité tu ne peux que continuer ton récit !

Gersende a dit…

Ce serait dommage que ça s'arrête d'un coup on était bien "pris dans l'ambiance". Comme dans Philippe Huet on visualisait bien les lieux. Et les personnages commençaient à devenir familiers. La suite, la suite !!!

marcopolo76 a dit…

Salut Laurent
Après avoir lu tes récits ; ou plutôt tes délires , j'en redemande d'autres.. quelle finesse au bout de la plume...!
Marco

harel a dit…

Salut Laurent. Encore un bar de quartier à vendre. Il est en bas de l'avenue Victoria... avenue René Coty.

philzoc a dit…

Captivant ! On est emballé par ton rythme d'écriture !! Encore !

Didier a dit…

Le bar des Ormeaux, toute une époque et un bar pas laid du tout, j'avais 11/12 ans, la proprio de cette époque avait une fille qui devait avoir 14/15 ans et nous allions au mm collège, grande brune roulée comme pas possible,nous l'appelions la boxeuse, vas savoir pourquoi? qu'a t'elle pu devenir?